Elleux : « Ca va ? »
Moi : « Oui carrément grave, grosse patate »
Elleux : « Ah tu es incroyable, tu as toujours la pêche, comment fais tu pour faire tout ce que tu fais ? » ou « Tu as une énergie incroyable, tu es jamais fatigué ? » ou « De toute façon toi, tu déchires dans tout ce que tu fais. »
Bah non, c’est pas toujours le cas, loin de là, moi aussi j’ai des coups de mous, des grosses fatigues, des moments où j’ai plus d’énergie et où j’y crois plus avec une grosse envie de tout balancer : c’est le sujet de cet article.

Sur la photo ci-dessus, c’est moi en mode « posture du guerrier vulnérable », une pose de yoga qui n’existe pas sous cette forme, mais quand Mary-Lou Mauricio* m’a demandé de prendre la pose et de raconte qui je suis, c’est ça qui m’est venu car ça résume bien ce que je suis en vrai.
« Guerrier » oui résolument.
Parce que j’ai été un guerrier pendant presque 2 ans, et que ça a failli être mon métier. En effet, pour des bonnes et des mauvaises raisons (envie d’aventure, faire plaisir et rendre fier ma famille, par défi et par virilisme), à 17 ans j’ai voulu faire une « préparation militaire parachutiste » pour être sûr que je ferais mon Service Militaire dans une unité combattante parachutiste et non dans un régiment lambda où je n’aurais pas été sûr de faire « vraiment l’armée », et puis j’avais super envie de sauter d’un avion en parfait état de marche. Et ensuite, après avoir fait l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse suivi d’une maîtrise de Sociologie Politique, toujours à Toulouse, je me suis préparé à passer le concours de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan en 1996. Quelques mois après, j’ai été reçu major de la section Diplômés de l’Enseignement Supérieur, j’ai fait mon intégration et le début du bizutage… pour ensuite démissionner après avoir compris que ce n’était pas fait pour moi et qu’il valait mieux que je libère ma place pour quelqu’un d’autre qui ressemblait plus au stéréotype du Saint-Cyrien comme l’étaient, eux, mes compagnons de chambrée (plus jeunes, issus de classes préparatoires, nés dans des familles avec des militaires, souvent des lycées militaires, etc). J’ai donc finalement comme prévu intégré un régiment parachutiste – le 1er RCP à Pau – et fait mes 10 mois à l’Ecole des Troupes Aéroportées (ETAP, l’école des paras) où j’étais à l’instruction (2ème compagnie) et où je me suis éclaté à faire du sport, beaucoup de sauts et à côtoyer la vraie mixité sociale. Par la suite, j’enchaînerais sur un DESS de « Défense » où la plupart de mes collègues finiront dans des services de renseignement, des entreprises liées à l’industrie de défense, dans la veille stratégique et la guerre économique, etc. Moi je ferais des stages à GIAT Industries et la Mission Militaire de Coopération pour travailler sur l’Afrique, et je passerais le concours de la DGSE sans succès du fait d’un dossier de sécurité peu fiable (drogue, activités politiques, larçin de jeunesse…).

Donc au-delà de ce mode « guerrier » au sens propre qui n’a pas abouti à une carrière militaire ou d’espion, j’ai gardé un état d’esprit « volontaire » et « rustique » qui fait de moi quelqu’un de très déterminé, et c’est vrai que j’ai beaucoup d’énergie et de force d’entraînement. Avant même d’être un para, j’avais été élevé dans une famille de gens très bosseur, « dur au mal » qui ne s’écoutait pas beaucoup et ne laissais pas de place à la plainte, donc il a été facile de faire mienne a devise de mon régiment para : « Ne pas subir ». Mes passions professionnelles et personnelles dessinent de moi une personne très motivée, assoiffée de connaissances et d’expérience, un peu accroc à l’adrénaline et donc ça table bien avec une image d’entrepreneur social inspirant courant de succès en succès, etc.
Et le fait que je poste régulièrement sur les réseaux sociaux ce que j’apprends et ce que je pense, les formations (nombreuses je vous l’accorde) que je fais – dont un CAP Cuisine (sic), mes activités sportives, les aventures Simplon – la belle PME de l’ESS que j’ai cofondée et que je préside depuis 12 ans et qui est passée à l’échelle avec un réseau de 120 école dans 25 pays et qui a formé 50000 personnes, la vie assez particulière que j’ai depuis 18 ans et qui est faite d’aller-retour permanents entre Paris – où j’ai une partie de ma vie professionnelle et personnelle, et Carcassonne où j’ai la femme de ma vie et notre fils, des ami-es et une autre partie de notre belle famille recomposée, également des activités sportives (trails, marches de 100km pour Oxfam, etc), etc… donc forcément ça donne l’impression que je suis une machine de guerre infatiguable qui est sur plein de fronts et qui arrive à tout faire en même temps. Mais il n’en est rien.
Mais fragile et vulnérable, et de plus en plus volontaire et fier de l’être
Oui, aucun souci pour l’assumer, au contraire.
Beaucoup sont souvent surpris par mes propos quand j’interviens dans une conférence ou une table ronde, ou lors de mes TedX, car je parle abondamment de mes échecs, de toutes les erreurs que Simplon a faites, j’évoque mes addictions passées (drogue, alcool) et je pourrais vous parler de celles que j’ai toujours et encore aujourd’hui : je suis souvent « sans filtre » et adepte de ce que Michel Foucault appelait avec les Grecs Anciens la « parrhésia » – le parler et le dire vrai.
Loin de regretter ces déclarations et ses partages que je fais régulièrement, j’ai envie d’aller encore plus loin et c’est ce que je fais ici aujourd’hui. Car c’est très important et utile d’être inspirant, mais dire ses peurs, les problèmes et les échecs qu’on rencontre, c’est encore plus important car cela inspire et aide encore plus, c’est plus pédagogique, plus inclusif, plus motivant et donc il faut aller plus fort dans cette direction.

Donc si je lâche un peu, dans le désordre :
- parfois j’ai d’énormes moments de fatigue physique et psychologique où je perd complètement « la foi », je trouve que tout ce que je fais est inutile, hypocrite et bouffi d’orgueil (notamment quand je me compare à ma femme qui est toute entière dévouée à prendre soin de ses patients, de nos ami-es, de nos enfants, de moi, de ma famille, etc), et s’ils ne durent pas très longtemps généralement, ils sont profonds et noirs, accompagnés de boulimies et de stress puissants qui réveillent parfois d’anciens démons…
- je ne vais pas arriver à finaliser mon CAP Cuisine cette année, je n’ai pas assez de temps pour le préparer sérieusement, je me ferais détruire à l’examen donc je vais essayer de le passer plutôt en 2026
- je suis assez nul sur les sujets « humains » (empathie, émotions, prendre soin des autres, etc) et donc je fais des bourdes tout le temps, en pensées, en actions et dans mes propos, souvent je blesse les gens, où je ne tiens pas compte de leurs besoins trop occupé par ma logique d’émetteur, il a pu arriver que je pousse des personnes à se mettre en difficulté par mes comportements jusqu’au-boutistes et mes injonctions à la performance
- j’avais prévu de faire un trail de 37km mais je ne suis pas assez bien préparé donc je vais prendre le départ mais je vais le faire en mode balade et la barrière horaire va certainement m’empêcher de le finir, persister à croire que je peux finir cette course avec beaucoup de dénivelé aurait certainement été mon premier réflexe il y a quelques années, mais non, je ne veux plus me « mettre dans le rouge » et risquer de me blesser
- je ne dis pas assez aux gens que j’aime que je les aime, je fais trop de choses et ça m’empêche de m’occuper de moi, de passer du temps avec ma femme, avec mes enfants, mon rythme effréné m’a fait faire de grosses erreurs dans l’éducation de mes enfants, dans mes relations personnelles et amicales, je ne suis pas doué pour comprendre ce qui est bon pour moi et pour les personnes qui me sont chères
- plus de 25 ans que je fais du numérique ma passion de vie et mon travail, que je suis un geek engagé et que je « pousse » la tech en évangélisant, formant, valorisant le web, les réseaux sociaux maintenant l’IA générative… mais le numérique est une partie du problème autant que de la solution à nos défis sociaux et environnementaux, quel sens a l’IA dans une trajectoire de dérèglement climatique et d’épuisement des ressources en eau et en métaux, comment choisir l’IA plus que les autres besoins qui requièrent aussi beaucoup (toute notre) énergie ?
- etc, etc, etc
Je suis conscient de ça, j’en parle, j’assume et je « me soigne » pour ne pas faire plusieurs fois les mêmes erreurs (j’en invente souvent d’autres lol). Et dans ce chemin, j’ai décidé d’aller de plus en plus loin et c’est le sens de la création de JOIN FORCES, le fonds philanthropique personnel et familiale que j’ai cofondé et que j’anime depuis quelques mois, et qui se donne la mission ambitieuse de soutenir financièrement et d’accompagner des coalitions, des collectifs, des alliances et des rapprochements entre des associations, des ONG, des fondations opératrices, des entreprises, des organisations publiques… Pourquoi je vous parle de ça en lien avec la fragilité et la vulnérabilité ? Parce que cette nouvelle aventure d’intérêt général, qui n’a rien à voir avec Simplon et qui est purement désintéressée et bénévole, m’amène à travailler sur des grandes zones d’inconfort par rapport à ce que je suis et la manière dont je procède depuis des années. En effet, il s’agit avec JOIN FORCES non pas d’aller vite mais de prendre son temps, non pas d’être seul mais d’agir à plusieurs, de se donner la patience de la convergence, d’écouter plus que de parler, de travailler à des intelligences collectives au lieu de foncer en solo tête baissée. Et ça, c’est très compliqué pour moi, c’est difficile mais ça m’excite beaucoup, j’ai besoin et envie de ça. Je veux désormais plus que je ne l’ai jamais fait, accepter mes fragilités et mes vulnérabilités, penser contre moi même, prendre le temps d’écouter, de partager, etc.
Tout ce que je vous dis est très banal, mais c’est fondamental pour moi au stade où je suis de ma vie perso et pro, et donc je vous en parle. Aucune indécence, juste l’envie d’être plus transparent, vrai, de générer des réactions, de mettre noir sur blanc les choses.
Merci 🙏
* Cette photo a été prise dans le cadre du projet BORN IN… PPM qui est est une série de portraits de Mary-Lou où les participants posent avec le taux de concentration en CO2 – exprimée en PPM, Parties Par Million – de leur année de naissance en signe de mobilisation contre la combustion des énergies fossiles toujours plus grandissante et pour dénoncer l’injustice climatique, c’est à découvrir sur borninppm.com et maintenant en livre disponible pendant encore 4 jours en pré-commande sur Ulule ici https://fr.ulule.com/born-in-ppm-le-livre/).
















Vous devez être connecté pour poster un commentaire.